Connecter les matières pour faire ressentir.
Tout a commencé dans un atelier de haute couture. Sur la silhouette d’un mannequin, une robe bleu ciel en tweed, brodée d’un nuage de plumes. J’avais quinze ans. Je voulais travailler la matière pour donner vie à partir d’elle. Cette rencontre m’a offert le matériau que je cherchais. Plus tard, c’est une plume, posée à côté d’un bol en érable, qui m’indiquait la direction à suivre : celle de l’apprentissage, avec rigueur et dans le détail.
Je me suis formée tour à tour aux métiers de la mode et à la plumasserie. J’ai quitté la souplesse des tissus pour la dureté du bois. J’ai appris l’ébénisterie et la marqueterie. Ce que je cherche est inscrit dans la matière : j’ai choisi dans chaque domaine le meilleur enseignement, celui que l’excellence imprègne.
Après des années de rigueur appliquée sans relâche, j’entame une quête. Une exploration. Elle est la seule chose qui m’anime. Rude, entière et chargée de renoncements, elle est pourtant la seule chose qui m’importe. Elle mêle l’intuition et le sauvage.
Avec mes mains et les savoir-faire que l’on m’a enseignés, je connecte la matière pour créer des mondes imperceptibles et vivants. Ils naissent de recherches, d’incrustations, de techniques mises au point et d’inspirations protéiformes : haute couture, nature, broderie, art déco et lumière. La plume, c’est l’impalpable. Le bois, la réalité dans laquelle j’incruste ce que je perçois pour le transmettre. À cette alliance se joignent d’autres matières. Le tendre et le sauvage, le cru et la caresse, les éclats, l’âpreté, le minéral, le pelage et le soyeux réunis. J’assemble les effleurements et les confrontations. Ces associations font réagir et créent à leur tour une marqueterie d’émotions imprédictibles.
Mon ouvrage appartient au temps long : celui de la création et de la réflexion car créer n’est pas produire. Entre mes inspirations et les matières entrelacées, je tente de démêler le fil. Cette tâche réclame patience et délicatesse. L’harmonie est fragile. Difficile à saisir. Extrêmement exigeante lorsque l’on cherche à l’exprimer. Incarné par la nature dans des confins battus par les vents et les flots déchaînés, où j’aime me retrouver, ce paradoxe constant entre douceur et rudesse traverse mon travail. Dans un atelier où le silence et l’ombre baignent les matières et aiguisent les sensations, je cherche à discerner et à construire cet équilibre des matières.

